jeudi 13 mars 2014

Les défaillances des mesures de performance



Comme nous le savons tous, la perfection n’existe pas et les mesures de performance n’y échappent pas. En effet, comme dans à peu près tous les éléments et les sphères de la vie, plus précisément dans le monde des affaires, les défaillances et les failles sont bien présentes et peuvent être néfastes à plusieurs niveaux. Ce billet, inspiré de l’article de Joseph F. Castellano, Saul Young, et Harper A. Roehm paru dans le CPA Journal, traitera des principales failles ou défaillances que l’on retrouve généralement dans les systèmes de mesures de performance.


Tout d’abord, il est important de rappeler que les mesures de performance sont utilisées pour établir des objectifs spécifiques, aligner le comportement des employés, et d'accroître la responsabilisation.[1]Ceci étant dit, une organisation doit être vue comme étant un système composé de plusieurs unités qui forment un réseau de processus interdépendants qui travaillent ensemble afin d’accomplir les objectifs globaux de l’organisation. Or, la première erreur est de considérer les objectifs des différentes unités comme indépendants face à la performance globale de l’organisation. Les mesures de performance propre à chaque unité se doivent d’être cohérentes avec la stratégie et les objectifs globaux organisationnels.


Ensuite, la deuxième erreur que certaines organisations commettent est de mal comprendre les variations qui surviennent entre les objectifs fixés et ceux qui ont été obtenus. L’étude des variations se doit d’être faite sur une assez longue période de temps, et non en faisant du cas par cas, afin d’établir un historique de performance qui aidera à déterminer un intervalle dans lequel l’entreprise est en mesure d’opérer. En effet, si l’objectif se situe beaucoup plus haut que l’intervalle, l’organisation est en mesure de constater que ses cibles sont irréalistes. De plus, cet intervalle permet de prédire des objectifs futurs avec plus de précision et de fiabilité.


Troisièmement, il est important de ne pas confondre un événement isolé avec une tendance. Ce que j’essaie de dire ici, c’est que si un résultat survient et qu’il est isolé par rapport à l’intervalle précédemment établi, il n’y a pas de quoi paniquer. Plusieurs organisations qui n’ont pas fait l’exercice des tendances historiques, peuvent faire l’erreur de mettent beaucoup de temps et d’argent afin de comprendre un résultat qui est rarissime et qui ne veut pas dire grand-chose à part une erreur de parcours.


En quatrième lieu, il arrive souvent que des entreprises ou des dirigeants aient une mauvaise compréhension des impacts que peut avoir l’établissement d’objectifs ou de cibles irréalistes. Ces objectifs exagérés proviennent, la plupart du temps, de l’utilisation du benchmarking afin de savoir ce qui se fait ailleurs, c’est-à-dire au niveau des concurrents. Or, il est normal pour les dirigeants de vouloir performer au même niveau que la concurrence, mais il n’est pas nécessaire d’établir des objectifs démesurés afin d’être «pareil», surtout si vous en avez l’incapacité. Comme je disais un peu plus haut, ces cibles auront des impacts, et c’est au niveau du comportement des employés. C’est à ce moment qu’on peut voir l’arrivée des comportements dysfonctionnels ainsi que des éléments psychologiques tels que la démotivation.


La cinquième défaillance se rapproche de la précédente, dans la mesure où la fixation d’objectifs se doit de se faire dans les limites de ses capacités. Plus précisément, on parle ici de la fixation d’objectifs en fonction de la clientèle. Or, il est certain que les clients demanderont toujours de l’amélioration dans le produit ou le service, sans connaître réellement les capacités de l’entreprise. C’est à ce niveau qu’il ne faut pas faire l’erreur de fixer seulement ses cibles en fonction du client, mais bien en intégrant la notion de capacité.

Finalement, le processus entourant un système de mesures de performance se doit d’avoir du support et les outils afin de bien comprendre les variations de la performance. De ce fait, la remise en question et la reformulation de certains aspects du système peuvent s’avérer pertinentes. De plus, plusieurs ne comprennent pas exactement le rôle réel des mesures. Oui, il s’agit de savoir si les objectifs ont été atteints, mais cela ne s’arrête pas là. Dépendamment du résultat, on procède à l’amélioration ou la reformulation des processus clés, qui eux, mèneront par la suite à de bien meilleurs résultats. 






[1] Castellano, J. F., Young, S., & Roehm, H. A. (2004). The seven fatal flaws of performance measurement. The CPA Journal74(6), 32-5.

5 commentaires:

  1. Les mesures de performance sont en effet difficiles à bien cerner dans une entreprise. Je pense que plus l’entreprise est grosse, plus il est probablement difficile d’établir des mesures cohérentes et réalistes et d’aligner le comportement des employés comme vous l’avez mentionné. Dans votre premier point, vous mentionnez les problèmes liés à l’alignement des mesures des différentes unités. Je suis d’accord que les différentes unités doivent en effet s’assurer d’avoir des mesures de performance qui vont vers les mêmes objectifs stratégiques globales. Toutefois, la décentralisation en centre de profit pourrait amener les différentes unités à devenir des unités stratégiques en soi. Ainsi, elles pourraient trouver des mesures de performance qui sont en lien avec leurs stratégies, qui peuvent être différentes de la stratégie globale de l’organisation.
    Je crois également qu’une notion importante qui ressort de ce billet et de sujet est la place de l’entreprise dans le temps. L’organisation opère dans un milieu en constant changement et les mesures de performance devraient l’accompagner pour évaluer sa performance et modifier ses processus. Beaucoup d’organisations utilisent encore des périodes fixes pour gérer leurs performances et les écarts au rendement. En ayant des mesures sous une forme plus flexible les aideraient probablement à ajuster les mesures pour éviter qu’elles soient trop hautes et démotivent leurs personnels. Est-ce que cela est dû à la mentalité d’exercice de douze mois? Est-ce qu’un des bénéfices de l’approche Beyond Budgeting serait d’améliorer les mesures de performances dans les organisations qui l’utilisent?

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    1. L'exemple amené concernant les unités stratégiques est très pertinente et mérite réflexion. Il est vrai que les mesures de performance de ces unités vont probablement se modifier afin de se conformer à leur stratégie. Par contre, je crois que même si ces unités deviennent en quelque sorte plus indépendante stratégiquement, il y aura nécessairement un minimum de cohérence avec la stratégie globale de l'organisation.

      Pour ce qui est de l'horizon temporelle fixe où les mesures de performance sont parfois évaluées, je ne sais pas si la mentalité d'exercice de 12 mois est une cause directe, mais je suis convaincu que cela ne doit certainement pas aider. Je crois que le questionnement sur les bénéfices du Beyond Budgeting est légitime et ouvre peut-être la porte à une possible amélioration de cette mauvaise pratique de gestion en terme de performance.

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  2. Le thème de ton article me ramène à une lecture que nous avions faite dans le cours de Comptabilité de Management Avancée avec Marc Journeault. Il s’agit de l’article de Neely et al (1997) sur le design des mesures de performances. L’auteur analyse les comportements dysfonctionnels qui peuvent être induits par des mesures de performance et établit une fiche d’identité de la mesure qui permet au gestionnaire de réfléchir aux comportements et conséquences induites par l’incentive.
    La fiche se développe selon les points suivants :
    - Title
    - Purpose
    - Relates to
    - Target
    - Formula
    - Frequency of measurement
    - Frequency of review
    - Who measures?
    - Source of data
    - Who owns the measure?
    - What do they do?
    - Who acts on the data?
    - What do they do?

    En conclusion, il est effectivement primordial de penser l’organisation dans son ensemble lors de l’établissement de mesures de contrôle.

    Référence : Neely, A., H. Richards, J. Mills, K. Platts & M. Bourne (1997). Designing performance measures: a structured approach. International Journal of Operations & Production Management 17(11): 1131-1152.

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    1. En effet Matthieu, je me rappelle de cet article et son sujet est intimement lié à mon billet. Je pense que cet outil, appelé «fiche d'identité», peut constituer un atout important pour un gestionnaire qui fait l'exercice de l'élaboration de mesures de performance. Par contre, je crois que cela reste dans la simplicité et qu'il y a quand même d'autres éléments à prendre en considération.

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  3. Il est vrai que les mesures de performances peuvent avoir certaines défaillances. Je suis entièrement d'accord avec vous lorsque vous parlez du fait que les entreprises ne doivent pas surévaluer leurs objectifs. En effet en faisant cela l'entreprise peut provoquer l'effet inverse qu'une mesure de performance devrait avoir. Je m'explique un objectif de performance pour un manager d'une équipe a pour but d'augmenter la motivation des employés afin qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes. Mais si le gestionnaire a établie des objectifs trop hauts, irréalisables par l'équipe de travail, cela aura pour effet comme vous le dites d’entraîner une démotivation et cela affectera à un plus fort degré les performances de l'entreprise.
    Je pense que des mesures qui peuvent mettre en place afin d'atténuer légèrement les défaillances des mesures de performance de l'entreprise sont des reportings mensuels sur la performance de l'entreprise permettant d'ajuster les objectifs en fonction de l'évolution de la demande ou des incidents qui ont pu se produire. Cela permet à l'ensemble des employés de rester concernés et motivés. Dans une entreprise dans laquelle j'ai travaillé en tant que contrôleur de gestion, le directeur général ainsi que le directeur financiers et le directeur de productions, faisaient une réunion hebdomadaire avec les équipes commerciales afin d'établir un objectif de performance pour la semaine pour le mois qui suit et pour les six mois. Ces réunions permettaient à l'entreprise de tenir compte des difficultés que les commerciaux ont pu rencontrer et s'expliquer sur les mauvaises performances. Lorsque j'ai assisté à ma première réunion j'ai trouvé cela intéressant de voir que les dirigeants de la société ne faisaient pas que donner des objectifs, mais intervenaient aussi pour les ajuster et allaient aussi sur le terrain pour augmenter les ventes.

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